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Jean-Christophe

au sortir de l’église, de dire à quoi il avait pensé. Il se mit à la lecture des Livres Saints, pour fixer ses idées, et il y prit de l’amusement, et même du plaisir, mais comme à des livres beaux et curieux, qui ne diffèrent pas essentiellement d’autres livres, que personne ne songe à appeler sacrés. Pour dire la vérité, si Jésus lui était sympathique, Beethoven le lui était bien plus. Et, à son orgue de Saint-Florian, où il accompagnait l’office du dimanche, il était plus occupé de son orgue que de la messe, et plus religieux, les jours où la chapelle jouait du Bach, que les jours où elle jouait du Mendelssohn. Certaines cérémonies lui causaient une ferveur exaltée. Mais était-ce bien Dieu qu’il aimait alors, ou seulement la musique, comme un prêtre imprudent le lui avait dit un jour, par plaisanterie, sans se douter du trouble où le jetterait sa boutade ? Un autre n’y eût pas pris garde, et n’eût rien changé à sa façon de vivre, — (tant de gens s’accommodent de ne pas savoir ce qu’ils pensent !) — Mais Christophe était affligé d’un besoin de sincérité gênant, qui lui inspirait des scrupules à tout propos. Et du jour qu’il en eut, il lui devint impossible de n’en pas avoir toujours. Il se tourmentait, il lui semblait qu’il agissait avec duplicité. Croyait-il, ou ne croyait-il pas ?… Il n’avait pas les moyens, matériels ni intellectuels, — (il faut du savoir et des loisirs) — pour résoudre la question, seul. Et cependant, il fallait la résoudre, sous peine d’être un indifférent, ou un hypocrite. Or, il était aussi incapable d’être l’un que l’autre.

Il chercha à sonder timidement les gens qui l’entouraient. Tous avaient l’air sûrs d’eux-mêmes. Christophe brûlait de connaître leurs raisons. Il n’y parvenait

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