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Jean-Christophe

supérieurs par l’intelligence et leur titre sacré ; mais lorsque l’on discute, il n’y a plus ni supérieur, ni inférieur, ni titres, ni âge, ni nom : rien ne compte que la vérité, devant elle tout le monde est égal.

Aussi fut-il heureux de trouver un garçon de son âge, qui crût. Lui-même ne demandait qu’à croire ; et il espérait que Leonhard lui en donnerait de bonnes raisons. Il lui fit des avances. Leonhard répondit avec sa douceur habituelle, mais sans empressement : il n’en mettait à rien. Comme on ne pouvait avoir une conversation suivie à la maison, sans être interrompu à tout instant par Amalia ou par le vieux, Christophe proposa une promenade, le soir, après dîner. Leonhard était trop poli pour refuser, quoiqu’il s’en fût dispensé volontiers ; car sa nature indolente avait peur de la marche, de la conversation, et de tout ce qui lui coûtait un effort.

Christophe était gêné pour entamer l’entretien. Après deux ou trois phrases gauches sur des sujets indifférents, il se jeta, avec une brusquerie un peu brutale, dans la question qui lui tenait au cœur. Il demanda à Leonhard si vraiment il allait se faire prêtre, et si c’était pour son plaisir. Leonhard, interloqué, jeta sur lui un regard inquiet ; mais quand il vit que Christophe n’avait aucune intention hostile, il se rassura :

— Oui, répondit-il. Comment en serait-il autrement ?

— Ah ! fit Christophe. Vous êtes bien heureux !

Leonhard sentit une nuance d’envie dans la voix de Christophe, et il en fut agréablement flatté. Il changea aussitôt de manières, il devint expansif, sa figure s’éclaira :

— Oui, dit-il. Je suis heureux.

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