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Jean-Christophe

sième, il ferma sa porte à clef. Rosa frappa, appela, comprit, redescendit confuse, et ne recommença plus. Il expliqua, quand il la vit, qu’il était occupé par un travail pressant et ne pouvait se déranger. Elle s’excusa humblement. Elle ne pouvait se faire illusion sur l’insuccès de ses innocentes avances : elles allaient droit contre leur but, elles éloignaient Christophe. Il ne prenait plus la peine de cacher sa mauvaise humeur ; il n’écoutait même plus quand elle parlait, et ne déguisait pas son impatience. Elle sentait que son bavardage l’irritait ; et elle parvenait, à force de volonté, à garder le silence pendant une partie de la soirée ; mais c’était plus fort qu’elle : elle éclatait tout d’un coup, et les paroles se pressaient plus tumultueuses que jamais. Christophe la plantait là, au milieu d’une phrase. Elle ne lui en voulait pas. Elle s’en voulait à elle-même. Elle se jugeait bête, ennuyeuse, ridicule ; tous ses défauts lui apparaissaient énormes, elle voulait les combattre ; mais elle était découragée par l’échec de ses premières tentatives, elle se disait qu’elle ne pourrait jamais, qu’elle n’avait pas la force. Pourtant elle essayait de nouveau.

Mais il y avait d’autres défauts contre lesquels elle ne pouvait rien : que faire contre sa laideur ? Elle ne pouvait plus en douter. La certitude de son infortune lui était brusquement apparue, un jour qu’elle se regardait dans la glace : ç’avait été comme un coup de foudre. Naturellement, elle s’exagérait encore le mal, elle voyait son nez dix fois plus gros qu’il n’était ; il lui semblait occuper tout le visage ; elle n’osait plus se montrer, elle aurait voulu mourir. Mais il y a dans la jeunesse une telle force d’espoir, que ces accès de découragement ne

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