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Il était seul, dans sa chambre, une nuit, accoudé devant sa table, à la lueur d’une bougie. Il tournait le dos à la fenêtre. Il ne travaillait pas. Il y avait des semaines qu’il ne pouvait travailler. Tout tourbillonnait dans sa tête. Il avait tout remis en question à la fois : religion, morale, art, toute la vie. Et dans cette dissolution universelle de sa pensée, nul ordre, nulle méthode ; il s’était jeté dans un amas de lectures puisées au hasard dans la bibliothèque hétéroclite de grand-père, ou dans celle de Vogel : livres de théologie, de sciences, de philosophie, souvent dépareillés, où il ne comprenait rien, ayant tout à apprendre ; il n’en pouvait finir aucun, et se perdait, au milieu, dans des divagations, des flâneries sans fin, qui laissaient une lassitude, un vide, une tristesse mortelle.

Ainsi, il s’absorbait, ce soir-là, dans une torpeur épuisante. Tout dormait dans la maison. Sa fenêtre était ouverte. Pas un souffle ne venait de la cour. D’épais nuages étouffaient le ciel. Christophe regardait, comme un hébété, la bougie se consumer au fond du chandelier. Il ne pouvait se coucher. Il ne pensait à rien. Il sentait ce néant se creuser d’instant en instant. Il s’efforçait de ne pas voir l’abîme qui l’aspirait ; et, malgré lui, il se penchait au bord, il plongeait les yeux au fond de la nuit. Dans le vide, le chaos se mouvait, les ténèbres grouillaient. Une angoisse le pénétrait, son

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