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la révolte

quand il se vit fermer la porte des autres rédactions. Il se dit bien que sa démarche ferait scandale : le journal était violent, haineux, constamment condamné ; mais comme Christophe ne le lisait pas, il ne pensait qu’à la hardiesse des idées, qui ne l’effrayait point, et non à la bassesse du ton, qui lui eût répugné. Au reste, il était si enragé de voir l’entente sournoise des autres journaux afin de l’étouffer, que peut-être eût-il passé outre, même s’il avait été mieux averti. Il voulait montrer aux gens qu’on ne se débarrassait pas si facilement de lui. — Il porta donc l’article à la rédaction socialiste, où il fut reçu à bras ouverts. Le lendemain, l’article parut ; et le journal annonçait, en termes emphatiques, qu’il s’était assuré le concours du jeune et talentueux maître, le citoyen Jean-Christophe Krafft, dont étaient bien connues les ardentes sympathies pour les revendications de la classe ouvrière.

Christophe ne lut ni la note, ni l’article ; car, ce matin-là, qui était un dimanche, il était parti avant l’aube, pour une promenade à travers champs. Il était admirablement bien disposé. En voyant lever le soleil, il cria, rit, iodla, sauta et dansa. Plus de Revue, plus de critiques à faire ! C’était le printemps, et le retour de la musique du ciel et de la terre, la plus belle de toutes. Fini des sombres salles de concerts, étouffantes et puantes, des voisins désagréables, des virtuoses insipides ! On entendait s’élever la merveilleuse chanson des forêts murmurantes ; et sur les champs passaient, comme des vagues, les effluves enivrants de la Vie, qui brisait de toutes parts l’écorce de la terre, et sortait du tombeau.

Il revenait de promenade, la tête bourdonnante de lumière et de musique, quand sa mère lui remit une lettre qu’on avait apportée du palais en son absence. La lettre, écrite sous une forme impersonnelle, avisait monsieur Krafft qu’il eût à se rendre, ce matin, au château. — Le matin était passé : il était près d’une heure. Christophe ne s’en émut guère.

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