retraite, et que son successeur le pillait dans ses articles, sans le nommer, ou en le nommant d’une façon perfide, pour citer de lui une phrase sans valeur, et pour relever ses erreurs : — (procédé, qui est courant dans le monde de la critique). — Il savait que son vieil ami Kunz lui avait encore fait un gros mensonge, cet après-midi, et qu’il ne reverrait jamais les livres, que son autre ami, Pottpetschmidt, lui avait empruntés pour quelques jours, — ce qui était douloureux pour quelqu’un, qui, comme lui, était attaché à ses livres ainsi qu’à des personnes vivantes. Beaucoup d’autres choses tristes, anciennes ou récentes, lui revenaient à l’esprit ; il ne voulait pas y penser ; mais elles étaient quand même en lui : il les sentait. Leur souvenir le traversait parfois, comme une douleur lancinante.
— Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !
gémissait-il, dans le silence de la nuit. — Puis, il écartait les fâcheuses pensées : il les niait ; il voulait être confiant, optimiste, croire aux hommes : et il y croyait. Combien de fois ses illusions avaient-elles été brutalement détruites ! — Mais il en renaissait d’autres, toujours, toujours… Il ne pouvait s’en passer.
Christophe inconnu devint un foyer lumineux dans sa vie. La première lettre froide et maussade, qu’il reçut de lui, eût dû lui faire de la peine ; — (peut-être, lui en fit-elle) ; — mais il n’en avait pas voulu convenir, et il en eut une joie d’enfant. Il était si modeste, et demandait si peu aux hommes, que le peu qu’il en recevait suffisait à nourrir son besoin de les aimer et de leur être reconnaissant. Voir Christophe était un bonheur qu’il n’eût jamais osé espérer : car il était maintenant trop vieux pour faire le voyage des bords du Rhin ; et, quant à solliciter sa visite, la pensée ne lui en venait même pas.
La dépêche de Christophe lui arriva, le soir, au moment où il se mettait à table. Il ne comprit pas d’abord : la signature lui semblait inconnue, il pensa qu’on s’était trompé, que