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la révolte

Il n’osait pas l’appeler. Une idée lui vint : il se mit à chanter la première phrase du Lied de Christophe :


« Auf ! Auf !… » (Debout ! Debout !…)


Christophe ressauta, comme un poisson hors de l’eau, et il cria la suite à tue-tête. Il se retourna tout joyeux. Il avait la figure rouge et des herbes dans les cheveux. Ils s’interpellèrent tous deux par leurs noms, et coururent l’un à l’autre. Schulz enjamba le fossé de la route, Christophe sauta par dessus la barrière. Ils se serrèrent la main avec effusion, et revinrent ensemble à la maison, riant et parlant très fort. Le vieux contait sa mésaventure. Christophe, qui, un moment avant, était bien décidé à continuer sa route sans faire une nouvelle tentative pour voir Schulz, sentit immédiatement la candide bonté de cette âme, et se prit à l’aimer. Avant d’être arrivés, ils s’étaient déjà confié une multitude de choses.

En entrant, ils trouvèrent Kunz, qui, ayant appris que Schulz était parti à la recherche de Christophe, attendait tranquillement. On servit le café au lait. Mais Christophe dit qu’il avait déjeuné dans une auberge de la ville. Le vieux fut désolé : c’était un vrai chagrin pour lui que le premier repas que Christophe avait pris dans le pays n’eût pas été chez lui ; ces petites choses avaient une importance énorme pour son cœur affectueux. Christophe, qui le comprit, s’en amusa en secret, et il l’en aima davantage. Afin de le consoler, il lui certifia qu’il avait assez bon appétit pour déjeuner deux fois : et il le lui prouva.

Tous ses ennuis lui étaient sortis de la tête : il se sentait au milieu de vrais amis, il ressuscitait. Il racontait son voyage, ses déboires, d’une façon humoristique : il avait l’air d’un écolier en vacances. Schulz rayonnant, le couvait des yeux, et il riait de tout son cœur.

L’entretien ne tarda pas à rouler sur ce qui les unissait tous trois d’un lien secret : la musique de Christophe. Schulz

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