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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 4.djvu/280

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Jean-Christophe

sentimental, qui agaçaient Christophe, mais qu’il eût été cruel de contredire. Au fond, c’était, chez Schulz, bien moins une croyance ferme qu’un désir passionné de croire, — un espoir incertain, auquel il se cramponnait, comme à une bouée. Il en cherchait confirmation dans les yeux de Christophe. Christophe entendait l’appel des yeux de son ami, qui s’attachaient à lui avec une confiance touchante, qui imploraient de lui — qui lui dictaient sa réponse. Alors il dit les paroles de foi tranquille et de force sûre d’elle-même, que le vieux attendait, et qui lui firent du bien. Le vieux et le jeune avaient oublié les années qui les séparaient : ils étaient l’un près de l’autre, comme deux frères du même âge, qui s’aiment et qui s’entr’aident ; le plus faible cherchait un appui auprès du plus fort : le vieillard se réfugiait dans l’âme du jeune homme.

Ils se quittèrent, après minuit. Christophe devait se lever de bonne heure pour reprendre le même train qui l’avait amené. Aussi ne flâna-t-il point en se déshabillant. Le vieux avait préparé la chambre de son hôte, comme s’il devait y passer plusieurs mois. Il avait mis sur la table des roses dans un vase, et une branche de laurier. Il avait installé un buvard tout neuf sur le bureau. Il avait fait porter, dans la matinée, un piano droit. Il avait choisi et placé sur la planchette, au chevet du lit, quelques-uns de ses livres les plus précieux et les plus aimés. Il n’y avait pas un détail auquel il n’eût pensé avec amour. Mais ce fut peine perdue : Christophe n’en vit rien. Il se jeta sur son lit, et dormit aussitôt, à poings fermés.

Schulz ne dormit pas. Il ruminait à la fois toute la joie qu’il avait eue, et tout le chagrin qu’il avait déjà du départ de son ami. Il repassait dans sa tête les paroles qu’ils s’étaient dites. Il songeait que le cher Christophe dormait près de lui, de l’autre côté du mur, contre lequel son lit était appuyé. Il était écrasé de fatigue, courbaturé, oppressé ; il sentait qu’il s’était refroidi pendant la promenade, et

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