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la révolte

répéter qu’il n’avait pas le droit de partir, et elle ne demandait qu’à le croire. Au lieu de s’en tenir à ses pleurs, qui étaient son arme la plus forte, elle fit à Christophe des reproches amers et injustes, qui le révoltèrent. Ils se dirent l’un à l’autre des choses pénibles ; et le résultat fut que Christophe, qui jusque-là hésitait encore, ne pensa plus qu’à presser ses préparatifs de départ. Il sut que les charitables voisins s’apitoyaient sur sa mère, et que l’opinion du quartier la représentait comme une victime, et lui comme un bourreau. Il serra les dents, et ne démordit plus de sa résolution.

Les jours passaient. Christophe et Louisa se parlaient à peine. Au lieu de jouir, jusqu’à la moindre goutte, des derniers jours passés ensemble, ces deux êtres qui s’aimaient perdaient le temps qui leur restait, — comme c’est trop souvent le cas, — en une de ces stériles bouderies, où s’engloutissent tant d’affections. Ils ne se voyaient qu’à table, où ils étaient assis l’un en face de l’autre, ne se regardant pas, ne se parlant pas, se forçant à manger quelques bouchées, moins pour manger que pour se donner une contenance. À grand peine, Christophe parvenait à extraire quelques mots de sa gorge : mais Louisa ne répondait pas ; et quand, à son tour, elle voulait parler, c’était lui qui se taisait. Cet état de choses était intolérable pour tous deux ; et plus il se prolongeait, plus il devenait difficile d’en sortir. Allaient-ils donc se séparer ainsi ? Louisa se rendait compte maintenant qu’elle avait été injuste et maladroite ; mais elle souffrait trop, pour savoir comment regagner le cœur de son fils, qu’elle pensait avoir perdu, et empêcher à tout prix ce départ, dont elle se refusait à envisager l’idée. Christophe regardait à la dérobée le visage blême et gonflé de sa mère, et il était bourrelé de remords ; mais décidé à partir, et, sachant qu’il y allait de sa vie, il souhaitait lâchement d’être déjà parti, pour s’enfuir de ses remords.

Son départ était fixé au surlendemain. Un de leurs tristes tête-à-tête venait de finir. Au sortir du souper, où ils ne

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