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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

prendre le contrepied. Le procédé était d’une simplicité enfantine : on faisait choix d’une belle légende, ou d’un conte d’enfant, et on leur faisait dire juste le contraire de ce qu’ils voulaient dire. On avait ainsi Barbe-Bleue battu par ses femmes, ou Polyphème, qui se crève l’œil, par bonté, afin de se sacrifier au bonheur d’Acis et de Galatée. En tout cela, rien de sérieux, que la forme. Encore semblait-il à Christophe (quoiqu’il en fût mauvais juge) que ces maîtres de la forme étaient plutôt de petits-maîtres et des maîtres pasticheurs que de grands écrivains, créateurs de leur style, et peignant largement.

Ils jouaient aux artistes. Ils jouaient aux poètes. Nulle part, le mensonge poétique ne s’étalait avec plus d’insolence que dans le drame héroïque. Ils se faisaient du héros une conception burlesque :

L’important, c’est d’avoir une âme magnifique,
Un œil d’aigle, un front large et haut comme un portique
Un air puissant et grave, émouvant, radieux,
Un cœur plein de frissons, du rêve plein les yeux

De tels vers étaient pris au sérieux. Sous l’affublement de ces grands mots, de ces panaches, de ces parades de théâtre avec des épées de fer-blanc et des casques en carton, on retrouvait toujours l’incurable futilité d’un Sardou, l’intrépide vaudevilliste, qui joue à Guignol avec l’histoire. À quoi pouvait répondre, dans la réalité, l’héroïsme