Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

128
JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

le cercle étroit de sujets de la littérature parisienne s’était élargi ; elle touchait à tout, avec une apparence d’audace. Même, deux ou trois fois, la mêlée du dehors, la vie publique avait crevé, d’une vigoureuse poussée, le rideau des conventions. Mais ils se dépêchaient de recoudre les déchirures. C’étaient des pères douillets, qui avaient peur de voir les choses comme elles sont. Un esprit de société, une tradition classique, une routine de l’esprit et de la forme, un manque de sérieux profond, les empêchaient d’aller jusqu’au bout de leurs audaces. Les problèmes les plus poignants devenaient des jeux ingénieux ; et tout se ramenait toujours à des questions de femmes, — de petites femmes. Ô la triste figure que faisaient sur leurs tréteaux les fantômes des grands hommes : l’Anarchie héroïque d’Ibsen, l’Évangile de Tolstoy, le Surhomme de Nietzsche !…

Les écrivains de Paris se donnaient bien du mal pour avoir l’air de penser des choses nouvelles. Au fond, ils étaient tous conservateurs. Il n’était pas de littérature d’Europe, où régnât plus généralement, et plus inconsciemment, le passé, le vieux, « l’éternel hier » : dans les grandes Revues, dans les grands journaux, dans les théâtres subventionnés, dans les Académies. Paris était en littérature ce que Londres était en politique : le frein modérateur de l’esprit européen. L’Académie française était une Chambre