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LA FOIRE SUR LA PLACE

joui en France d’une immense autorité. Le public s’inclinait devant leurs arrêts ; et il n’était pas loin de les regarder comme supérieurs aux artistes, comme des artistes intelligents : — (les deux mots ne semblaient pas faits pour aller ensemble). — Puis, ils s’étaient multipliés avec une rapidité excessive ; ils étaient trop d’augures : cela gâte le métier. Quand il y a tant de gens, qui affirment, chacun, qu’il est le seul détenteur de l’unique vérité, on ne peut plus les croire ; et ils finissent par ne plus se croire eux-mêmes. Le découragement était venu : du jour au lendemain, suivant l’habitude française, ils avaient passé d’un extrême à l’autre. Après avoir professé qu’ils savaient tout, ils professaient maintenant qu’ils ne savaient rien. Ils y mettaient leur point d’honneur et leur fatuité même. Renan avait enseigné à ces générations amollies qu’il n’est pas élégant de rien affirmer sans le nier aussitôt, ou du moins sans le mettre en doute. Il était de ceux dont parle saint Paul, « en qui il y a toujours oui, oui, et puis non, non ». Toute l’élite française s’était enthousiasmée pour ce Credo amphibie. La paresse de l’esprit et la faiblesse du caractère y avaient trouvé leur compte. On ne disait plus d’une œuvre qu’elle était bonne ou mauvaise, vraie ou fausse, intelligente ou sotte. On disait :

— Il se peut faire… Il n’y a pas d’impossibilité… Je n’en sais rien… Je m’en lave les mains.

Si l’on jouait une ordure, ils ne disaient pas :