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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

tophe en était malade. Mais les Romaines étaient charmées, et riaient de bon cœur, en montrant leurs dents magnifiques. On jouait aussi de l’Ibsen. Épilogue de la lutte d’un grand homme contre les Soutiens de la Société, aboutissant à les divertir !

Ensuite, ils se croyaient tous tenus, naturellement, à deviser sur l’art. C’était une chose écœurante. Les femmes surtout se mettaient à parler d’Ibsen, de Wagner, de Tolstoy, par flirt, par politesse, par ennui, par sottise. Une fois que la conversation était sur ce terrain, plus moyen de l’arrêter. Le mal était contagieux. Il fallait écouter les pensées des banquiers, des courtiers et des négriers sur l’art. Christophe avait beau éviter de répondre, détourner l’entretien : on s’acharnait à lui parler musique, haute poésie. Comme disait Berlioz, « ces gens-là emploient ces termes avec le plus grand sang-froid ; on dirait qu’ils parlent vin, femmes, ou autres cochonneries ». Un médecin aliéniste reconnaissait dans l’héroïne d’Ibsen une de ses clientes, mais beaucoup plus bête. Un ingénieur assurait, de bonne foi, que, dans Maison de Poupée, le personnage sympathique était le mari. L’illustre cabotin, — un comique fameux, — ânonnait en vibrant de profondes pensées sur Nietzsche et sur Carlyle ; il contait à Christophe qu’il ne pouvait pas voir un tableau de Velasquez, — (c’était le dieu du jour) — « sans que de grosses larmes lui coulassent sur les