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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

humaine comme elle était. Elle se donnait alors la satisfaction de ne pas combattre des penchants qui lui étaient agréables, et le luxe de se dire que ce devait être ainsi, que la sagesse était de ne pas se révolter et d’être indulgent pour ce qu’on ne pouvait — « hélas ! » — empêcher. C’était là une sagesse dont la pratique n’avait rien de pénible.

Pour qui sait regarder la vie avec sérénité, il y a une forte saveur dans le contraste perpétuel qui existe, au sein de la société, entre l’extrême raffinement de la civilisation apparente et l’animalité profonde. Tout salon, qui n’est point rempli de fossiles et d’âmes pétrifiées, présente, comme deux couches de terrains, deux couches de conversations superposées l’une à l’autre : l’une, — que tout le monde entend, — entre les intelligences ; l’autre, — dont peu de gens ont conscience, et qui est pourtant la plus forte, — entre les instincts, entre les bêtes. Ces deux conversations sont souvent contradictoires. Tandis que les esprits échangent des monnaies de convention, les corps disent : Désir, Aversion, ou, plus souvent : Curiosité, Ennui, Dégoût. La bête, encore que domptée par des siècles de civilisation, et aussi abrutie que les misérables lions dans la cage au dompteur, rêve toujours à sa pâture.

Mais Christophe n’était pas encore arrivé à ce désintéressement de l’esprit, que seul apporte