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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

faire aucun sacrifice à une amitié ; elle ne voulait faire aucun sacrifice à rien, ni à personne ; elle voulait ce qui lui était le plus commode et le plus agréable. Elle cachait donc à Christophe qu’elle recevait toujours Lucien Lévy-Cœur ; elle mentait, avec le naturel charmant des jeunes femmes du monde, expertes dès l’enfance en cet exercice nécessaire à qui doit posséder l’art de garder tous ses amis et de les contenter tous. Elle se donnait comme excuse que c’était pour ne pas faire de peine à Christophe ; mais en réalité, c’était parce qu’elle savait qu’il avait raison, et qu’elle n’en voulait pas moins faire ce qui lui plaisait à elle, sans pourtant se brouiller avec lui. Christophe avait parfois le soupçon de ces ruses ; il grondait alors, il faisait la grosse voix. Elle, continuait de jouer la petite fille contrite, affectueuse, un peu triste ; elle lui faisait les yeux doux, — feminæ ultima ratio. — Cela l’attristait vraiment de sentir qu’elle pouvait perdre l’amitié de Christophe ; elle se faisait séduisante et sérieuse ; et elle réussissait en effet à désarmer pour quelque temps Christophe. Mais tôt ou tard il fallait bien en finir par un éclat. Dans l’irritation de Christophe, il entrait, à son insu, un petit peu de jalousie. Et dans les ruses enjôleuses de Colette, il entrait aussi un peu, un petit peu d’amour. La rupture n’en devait être que plus vive.

Un jour que Christophe avait pris Colette en flagrant délit de mensonge, il lui mit marché en