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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

à la prochaine occasion, de lui rendre exactement la même monnaie.

Entre toutes les maladresses commises, Christophe eut celle de partir en guerre contre Lucien Lévy-Cœur. Il le trouvait partout sur sa route, et il ne pouvait cacher une antipathie exagérée pour cet être doux, poli, qui ne faisait aucun mal apparent, qui semblait même avoir plus de bonté que lui, et qui en tout cas avait bien plus de mesure. Il le provoquait à des discussions ; et, si insignifiant que fût l’objet de la discussion, elle prenait toujours, par le fait de Christophe, une âpreté subite, qui surprenait l’auditoire. Il semblait que Christophe cherchât tous les prétextes pour fondre, tête baissée, sur Lucien Lévy-Cœur ; mais jamais il ne pouvait l’atteindre. Son ennemi avait toujours la suprême habileté, même quand son tort était le plus certain, de se donner le beau rôle ; il se défendait avec une courtoisie, qui faisait ressortir le manque d’usages de Christophe. Celui-ci, qui d’ailleurs parlait fort mal le français, avec des mots d’argot, voire d’assez gros mots, qu’il avait sus tout de suite, et qu’il employait mal à propos, comme beaucoup d’étrangers, était incapable de déjouer la tactique de Lucien Lévy-Cœur ; et il se débattait furieusement contre cette douceur ironique. Tout le monde lui donnait tort : car on ne voyait pas ce que Christophe sentait obscurément : l’hypocrisie de cette douceur, qui, lorsqu’elle se heurtait à une force, qu’elle ne