Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/269

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Mais Christophe ignorait la naïve affection, qui de loin veillait sur lui, et qui devait plus tard tenir tant de place dans sa vie. Et il ignorait aussi qu’à ce même concert, où il avait été insulté, assistait celui qui allait être l’ami, le cher compagnon, qui devait marcher auprès de lui, côte à côte, et la main dans la main.

Il était seul. Il se croyait seul. D’ailleurs, il n’en était aucunement accablé. Il ne ressentait plus cette amère tristesse qui l’angoissait naguère, en Allemagne. Il était plus fort, plus mûr : il savait que ce devait être ainsi. Ses illusions sur Paris étaient tombées : tous les hommes étaient partout les mêmes ; il fallait en prendre son parti, et ne pas s’obstiner dans une lutte enfantine contre le monde ; il fallait être soi-même, avec tranquillité. Comme disait Beethoven, « si nous livrons à la vie les forces de notre vie, que nous restera-t-il pour le plus noble, pour le meilleur ? » Il avait pris vigoureusement conscience de sa nature et de sa race, qu’il avait jugée si sévèrement jadis. À mesure qu’il était plus oppressé par l’atmosphère parisienne, il éprouvait

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