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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

vaincu que Hecht ne lui ménagerait pas les insolences. Il n’en fut rien. Hecht, froidement, lui tendit la main : avec une formule de politesse banale, il s’informa de sa santé, et, sans même attendre que Christophe lui en fît la demande, il lui désigna la porte de son cabinet, et s’effaça pour le laisser passer. Il était heureux, secrètement, de cette visite, que son orgueil avait prévue, mais qu’il n’attendait plus. Sans en avoir l’air, il avait suivi très attentivement Christophe ; il n’avait manqué aucune occasion de connaître sa musique ; il était au fameux concert du David ; et l’accueil hostile du public l’avait d’autant moins étonné, dans son mépris du public, qu’il avait parfaitement senti toute la beauté de l’œuvre. Il n’y avait peut-être pas deux personnes à Paris qui fussent plus capables que Hecht d’apprécier l’originalité artistique de Christophe. Mais il se fût bien gardé de lui en rien dire, non seulement parce qu’il était piqué de l’attitude de Christophe à son égard, mais parce qu’il lui était impossible d’être aimable : c’était une disgrâce spéciale de sa nature. Il était sincèrement disposé à aider Christophe ; mais il n’eût pas fait un pas pour cela : il attendait que Christophe vînt le lui demander. Et maintenant que Christophe était venu, — au lieu de saisir généreusement l’occasion d’effacer le souvenir de leur malentendu, en épargnant à son visiteur toute démarche humiliante, il se donna la satisfaction de le laisser