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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

loppés d’une paix indifférente. Ce sont ces fillettes vicieuses, ces gamines ouvrières, qui reflètent peut-être le plus de la sérénité disparue, celle des statues antiques et des figures de Raphaël. Ce n’est là qu’un instant dans leur vie, le premier éveil du plaisir ; la flétrissure est proche. Mais elles ont vécu du moins une jolie heure.

Christophe se délectait à la regarder : une gentille figure lui faisait du bien au cœur : il savait en jouir sans la désirer ; il y puisait de la joie, de la force, de l’apaisement, — oui, presque de la vertu. Elle, — cela va sans dire, — avait vite remarqué qu’il la regardait ; et il s’était établi entre eux, sans y penser, un courant magnétique. Et comme ils se retrouvaient, à peu près aux mêmes places, à presque tous les concerts, ils n’avaient pas tardé à connaître leurs goûts. À certains passages, ils échangeaient un regard d’intelligence ; lorsqu’elle aimait particulièrement une phrase, elle tirait légèrement la langue, comme pour se lécher les lèvres ; ou, pour montrer qu’elle ne trouvait pas cela bon, elle avançait dédaigneusement son gentil museau. Il se mêlait à ces petites mines un peu de ce cabotinage innocent, dont presque aucun être ne peut se dégager quand il se sait observé. Elle voulait se donner parfois, pendant les morceaux sérieux, une expression grave ; et, tournée de profil, l’air absorbé, et la joue souriante, du coin de l’œil elle