Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

282
JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

s’aperçoit un jour qu’il y a quelque chose de changé.

Il y avait quelque chose de changé dans Christophe, ce soir-là où il errait par les salles du Louvre. Il était las, il avait froid, il avait faim, il était seul. Autour de lui, l’ombre descendait dans les galeries désertes, les formes endormies s’animaient. Christophe passait, silencieux et glacé, au milieu des sphinx d’Égypte, des monstres assyriens, des taureaux de Persépolis, des serpents gluants de Palissy. Il se sentait dans une atmosphère de contes de fées ; et dans son cœur montait un émoi mystérieux. Le rêve de l’humanité l’enveloppait, — les fleurs étranges de l’âme…

Au milieu du poudroiement doré des galeries de peinture, des jardins de couleurs éclatantes et mûres, des prairies de tableaux, où l’air manque, Christophe, fiévreux, au seuil de la maladie, eut un coup de foudre. — Il allait, presque sans voir, étourdi par le besoin, par la tiédeur des salles, et par cette orgie d’images : la tête lui tournait. Arrivé au bout de la galerie du bord de l’eau, devant le Bon Samaritain de Rembrandt, il s’appuya des deux mains, pour ne pas tomber, sur la rampe de fer qui entoure les tableaux ; il ferma les yeux, un instant. Quand il les rouvrit sur l’œuvre qui était en face de lui, tout près de son visage, il fut fasciné…

Le jour s’éteignait. Le jour était lointain déjà, déjà mort. Le soleil invisible s’effondrait dans la