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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

de fameuses canailles. Ils viennent vous faire la cour, quand vous avez de l’argent ; ils mangent votre argent, et puis après, ils vous plantent là. Elle en avait vu trop d’exemples autour d’elle : elle n’était pas tentée de faire de même, » — Elle ne disait pas qu’elle avait eu un mariage manqué : son « futur » l’avait laissée, quand il avait vu qu’elle donnait tout ce qu’elle gagnait aux siens. — Christophe la voyait jouer maternellement dans la cour avec les enfants d’une famille qui habitait la maison. Quand elle les rencontrait seuls dans l’escalier, il lui arrivait de les embrasser avec passion. Christophe l’imaginait à la place d’une des dames qu’il connaissait : elle n’était point sotte, elle n’était pas plus laide qu’une autre ; il se disait qu’à leur place, elle eût été mieux qu’elles. Tant de puissances de vie enterrées, sans que personne s’en souciât ! Et, en revanche, tous ces morts vivants, qui encombrent la terre, et qui prennent la place et le bonheur des autres, au soleil !…

Christophe ne se méfiait pas. Il était très affectueux, trop affectueux pour elle ; il se faisait câliner, comme un grand enfant.

Sidonie, certains jours, avait l’air abattue ; mais il l’attribuait à sa tâche. Une fois, au milieu d’un entretien, elle se leva brusquement, et quitta Christophe, prétextant un ouvrage. Enfin, après un jour où Christophe lui avait témoigné plus de confiance encore qu’à l’ordinaire, elle interrom-