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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

vait : cela flatta son amour-propre ; elle se promit de répandre dans le quartier la nouvelle que sa fille prenait des leçons avec un compositeur.

Quand Christophe se vit, le lendemain, assis près du piano, — un horrible instrument, acheté d’occasion, et qui sonnait comme une guitare, — avec la petite bouchère, dont les doigts courts et gros trébuchaient sur les touches, — qui était incapable de distinguer un son d’un autre, — qui se tortillait d’ennui, — qui lui bâillait au nez, dès les première minutes, — quand il eut à subir la surveillance de la mère et sa conversation, ses idées sur la musique et sur l’éducation musicale, — il se sentit si misérable, si misérablement humilié qu’il n’avait même plus la force de s’indigner. Il rentrait dans un état d’accablement ; certains soirs, il ne pouvait dîner. S’il en était tombé là, au bout de quelques semaines, où ne descendrait-il pas, par la suite ? À quoi lui avait-il servi de se révolter contre l’offre de Hecht ? Ce à quoi il avait consenti était plus dégradant encore.

Un soir, dans sa chambre, les larmes le prirent ; il se jeta désespérément à genoux devant son lit, il pria… Qui priait-il ? Qui pouvait-il prier ? Il ne croyait pas en Dieu, il croyait qu’il n’y avait point de Dieu… Mais il fallait prier, il fallait se prier. Il n’y a que les médiocres qui ne prient jamais. Ils ne savent pas la nécessité où sont les âmes fortes de se retirer de temps en temps dans leur sanctuaire. Au sortir des humi-