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LA FOIRE SUR LA PLACE

gauches et violents des bras maigres aux mains énormes, et qui dardait des regards furibonds, en criant d’une voix suraiguë. Sylvain Kohn entreprit d’en donner la comédie à ses amis.

La conversation s’était définitivement écartée de la littérature pour s’attacher aux femmes. — À vrai dire, c’étaient les deux faces d’un même sujet : car dans leur littérature il n’était guère question que de femmes, et dans leurs femmes que de littérature, tant elles étaient frottées de choses ou de gens de lettres.

On parlait d’une honneste dame, connue dans le monde parisien, qui venait, disait-on, de faire épouser son amant à sa fille, pour mieux se le réserver. Christophe s’agitait sur sa chaise, et faisait, sans y prendre garde, une grimace de dégoût. Kohn s’en aperçut ; et, poussant du coude son voisin, il fit remarquer que le sujet semblait passionner l’Allemand, qui sans doute brûlait d’envie de connaître la dame. Christophe rougit, balbutia, puis finit par dire avec colère que de telles femmes il fallait les fouetter. Un éclat de rire homérique accueillit sa proposition ; et Sylvain Kohn, d’un ton flûte, protesta qu’on ne devait pas toucher une femme, même avec une fleur… etc… etc… (Il était à Paris le chevalier de l’Amour.) — Christophe répondit qu’une femme de cette espèce n’était ni plus ni moins qu’une chienne, et qu’avec les chiens vicieux il n’y avait qu’un remède : le fouet. On se récria bruyamment.