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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/71

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LA FOIRE SUR LA PLACE

tait et lisait à tort et à travers, embrouillait tout dans sa lourde cervelle, et faisait arrogamment la leçon aux autres ; il écrivait dans un style prétentieux, bariolé de calembours, et lardé de pédantismes agressifs ; il avait une mentalité de pion de collège. Parfois, de loin en loin, il s’était attiré de cruelles ripostes : dans ces cas-là, il faisait le mort, et se gardait bien de répondre. Il était à la fois un gros finaud et un grossier personnage, insolent ou plat, selon les circonstances. Il faisait des courbettes aux chers maîtres, pourvus d’une situation ou d’une gloire officielle : — (c’était le seul moyen qu’il eût d’évaluer sûrement le mérite musical.) — Il traitait dédaigneusement les autres, et exploitait les faméliques. — Ce n’était pas une bête.

Malgré l’autorité acquise et sa réputation, dans son for intérieur il savait qu’il ne savait rien en musique ; et il avait conscience que Christophe s’y connaissait très bien. Il se serait gardé de le dire ; mais cela lui en imposait. — Et maintenant, il écoutait Christophe, qui jouait ; et il s’évertuait à comprendre, l’air absorbé, profond, ne pensant à rien ; il ne voyait goutte dans ce brouillard de notes, et il hochait la tête en connaisseur, mesurant ses signes d’approbation sur les clignements d’yeux de Sylvain Kohn, qui avait grand’peine à rester tranquille.

Enfin, Christophe, dont la conscience émergeait peu à peu des fumées du vin et de la musique, se