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LA FOIRE SUR LA PLACE

galop d’Offenbach, ou chantonnait une scie de café-concert, après l’Ode à la joie. Alors Christophe bondissait, et il hurlait de colère. — Mais le pire n’était pas quand Sylvain Kohn était absurde ; c’était quand il voulait dire des choses profondes et délicates, quand il voulait poser aux yeux de Christophe, quand c’était Hamilton, et non Sylvain Kohn, qui parlait. Dans ces moments-là, Christophe dardait sur lui un regard chargé de haine, et il l’écrasait sous des paroles froidement injurieuses, qui blessaient l’amour-propre de Hamilton : les séances de piano se terminaient fréquemment par des brouilles. Mais, le lendemain, Kohn avait oublié ; et Christophe, qui avait remords de sa violence, s’obligeait à revenir.

Tout cela n’eût encore été rien, si Kohn avait pu se retenir d’inviter des gens à entendre Christophe. Mais il avait besoin de faire montre de son musicien. — La première fois que Christophe trouva chez Kohn trois ou quatre petits Juifs, et la maîtresse de Kohn, une grande fille enfarinée, bête comme un panier, qui répétait des calembours ineptes et parlait de ce qu’elle avait mangé, mais qui se croyait musicienne, parce qu’elle exhibait ses cuisses, chaque soir, dans une Revue des Variétés, — Christophe fit grise mine. La deuxième fois, il déclara tout net à Sylvain Kohn qu’il ne jouerait plus chez lui. Sylvain Kohn jura ses grands dieux qu’il n’inviterait plus personne. Mais il continua en cachette,