Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

72
JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

presque l’avoir écrit. À vrai dire, ils n’avaient fait que le répéter, en termes d’école, comme un collégien qui fait l’analyse grammaticale d’une page de Cicéron. Mais il était si difficile aux meilleurs d’entre eux de concevoir la musique comme une langue naturelle de l’âme, que, lorsqu’ils n’en faisaient pas une succursale de la peinture, ils la logeaient dans les faubourgs de la science, et ils la réduisaient à des problèmes de construction harmonique. Des gens aussi savants devaient naturellement en remontrer aux musiciens passés. Ils trouvaient des fautes dans Beethoven, donnaient de la férule à Wagner. Pour Berlioz et pour Gluck, ils en faisaient des gorges chaudes. Rien n’existait pour eux, à cette heure de la mode, que Jean-Sébastien Bach, et Claude Debussy. Encore le premier, dont on avait beaucoup abusé dans ces dernières années, commençait-il à paraître pédant, perruque, et, pour tout dire, un peu coco. Les gens très distingués prônaient mystérieusement Rameau, et Couperin dit le Grand.

Entre ces savants hommes, des luttes épiques s’élevaient. Ils étaient tous musiciens ; mais comme ils ne l’étaient pas tous de la même manière, ils prétendaient, chacun, que sa manière seule était la bonne, et ils criaient : raca ! sur celles de leurs confrères. Ils se traitaient mutuellement de faux littérateurs et de faux savants ; ils se lançaient à la tête les mots d’idéalisme et de maté-