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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/90

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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

de soleil en France ? Christophe, qui, depuis son arrivée à Paris, n’avait eu que la pluie et le brouillard, était assez porté à le croire ; mais c’est le rôle de l’artiste de créer le soleil, lorsqu’il n’y en a pas. Ceux-ci allumaient bien leur petite lanterne ; seulement, c’était comme celle des vers luisants : elle ne réchauffait rien, et éclairait à peine. Les titres des œuvres changeaient : il était parfois question de printemps, de midi, d’amour, de joie de vivre, de course à travers les champs ; la musique, elle, ne changeait pas ; elle était uniformément douce, pâle, engourdie, anémique, étiolée. — C’était alors la mode en France, parmi les délicats, de parler bas en musique. Et l’on avait bien raison : car dès qu’on parlait haut, c’était pour crier : il n’y avait pas de milieu. On n’avait le choix qu’entre un assoupissement distingué et des déclamations de mélo.

Christophe, secouant la torpeur qui commençait à le gagner, regarda son programme ; et il fut bien surpris de voir que ces petits brouillards, qui passaient dans le ciel gris, avaient la prétention de représenter des sujets fort précis. Car, en dépit des théories, cette musique pure était presque toujours de la musique à programme, ou tout au moins à sujets. Ils avaient beau médire de la littérature : il leur fallait une béquille littéraire sur laquelle s’appuyer. Étranges béquilles, à l’ordinaire ! Christophe remarqua la puérilité bizarre des sujets qu’ils s’astreignaient à peindre. C’étaient