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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

boulangers prophétiques, des pêcheurs apostoliques. Goethe parlait déjà des artistes de son époque, « qui reproduisaient les idées de Kant dans des tableaux allégoriques ». Ceux du temps de Christophe mettaient la sociologie en doubles croches. Zola, Nietzsche, Maeterlinck, Barrès, Jaurès, Mendès, l’Évangile et le Moulin Rouge, alimentaient la citerne, où les auteurs d’opéras et de symphonies venaient puiser leurs pensées. Bon nombre d’entre eux, grisés par l’exemple de Wagner, s’étaient écriés : « Et moi aussi, je suis poète ! » — et ils alignaient avec confiance sous leurs lignes de musique des bouts-rimés, ou non rimés, en style d’école primaire ou de feuilleton décadent.

Tous ces penseurs et ces poètes étaient des partisans de la musique pure. Mais ils aimaient mieux en parler qu’en écrire. — Il leur arrivait pourtant quelquefois d’en écrire. C’était alors de la musique qui ne voulait rien dire. Le malheur, c’est qu’elle y réussissait souvent : elle ne disait rien du tout — du moins à Christophe. — Il faut ajouter qu’il n’en avait pas la clef.

Pour comprendre une musique étrangère, il faut se donner la peine d’en apprendre la langue, et ne pas croire qu’on la sait d’avance. Christophe le croyait, comme tout bon Allemand. On pouvait l’excuser. Beaucoup de Français eux-mêmes ne la comprenaient pas mieux que lui. Comme ces Allemands du temps du roi Louis XIV, qui s’évertuaient à parler français et qui avaient fini par