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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/141

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DANS LA MAISON

dans l’avenir de l’esprit juif épuré, dans les destinées de la France, soldat de l’esprit nouveau — (il identifiait volontiers les trois causes). — Olivier, qui n’était point dupe, disait à Christophe :

— Au fond, il ne croit à rien.

Avec tout son bon sens et son calme ironiques, Mooch était un neurasthénique qui ne voulait pas regarder le vide qui était en lui. Il avait des crises de néant ; il se réveillait parfois brusquement, au milieu de la nuit, en gémissant d’effroi. Il cherchait partout des raisons d’agir auxquelles s’accrocher, comme à des bouées dans l’eau.

On paye cher le privilège d’être d’une trop vieille race. On porte un faix écrasant de passé, d’épreuves, d’expériences lassées, d’intelligence et d’affection déçues, — toute une cuvée de vie séculaire, au fond de laquelle s’est déposé un acre résidu d’ironie et d’ennui… L’Ennui, l’immense ennui sémite, sans rapports avec notre ennui aryen, qui nous fait bien souffrir aussi, mais qui du moins a des causes précises et qui passe avec elles : car il ne vient le plus souvent que de notre regret de n’avoir pas ce que nous désirons. Mais c’est la source même de la joie et de la vie qui est atteinte, chez certains Juifs, par un poison mortel. Plus de désirs, plus d’intérêt à rien : ni ambition, ni amour, ni plaisir. Une seule chose persiste, non pas intacte, mais maladivement hyperesthésiée, en ces déracinés d’Orient,