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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/18

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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

— Ne vous plaignez pas. Il y a assez de gens qui parlent, dans votre pays ; on est trop heureux d’en rencontrer un qui se taise de temps en temps, fût-ce par timidité, c’est-à-dire malgré lui.

Christophe riait, enchanté de sa malice.

— Alors, c’est pour mon silence que vous me faites visite ?

— Oui, c’est pour votre silence, pour la qualité de votre silence. Il y en a de toutes sortes : j’aime le vôtre, voilà tout.

— Comment avez-vous fait pour avoir quelque sympathie pour moi ? Vous m’avez à peine vu.

— Cela, c’est mon affaire. Je ne suis pas long à faire mon choix. Quand je vois passer dans la vie un visage qui me plaît, je suis vite décidé : je me mets à sa poursuite ; il faut que je le rejoigne.

— Il ne vous arrive jamais de vous tromper dans ces poursuites ?

— Souvent.

— Peut-être vous trompez-vous encore, cette fois.

— Nous verrons bien.

— Oh ! je suis perdu, alors ! Vous me glacez. Il me suffit de penser que vous m’observez, pour que le peu de moyens que j’ai m’abandonne.

Christophe regardait, avec une curiosité affectueuse, cette figure impressionnable, qui rosissait et pâlissait, d’un instant à l’autre. Les sentiments y passaient comme des nuages sur l’eau.