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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/200

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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

parlait anglais. Ils écoutaient gravement, sans comprendre. Puis ils parlaient français. Elle ne comprenait pas. Alors, ils se regardaient entre eux avec pitié, hochaient la tête, et disaient, en reprenant leur travail :

— C’est-y malheureux, tout de même ! Une si belle fille !…

Comme s’ils l’eussent jugée muette, sourde, ou idiote…

Dans les premiers temps, Aubert, intimidé par la science et les manières distinguées du prêtre et de M. Watelet, se tut, buvant leur conversation. Puis, peu à peu, il s’y mêla, cédant au plaisir naïf qu’il avait à s’entendre parler. Il étala son idéologie généreuse et très vague. Les deux autres l’écoutaient poliment, avec un petit sourire intérieur. Aubert, ravi, ne s’en tint pas là ; il usa, et bientôt il abusa de l’inépuisable patience de l’abbé Corneille. Il lui lut ses élucubrations. Le prêtre écoutait toujours, avec résignation ; et cela ne l’ennuyait pas trop : car il écoutait moins les paroles que l’homme. Et puis, comme il disait à Christophe, qui le plaignait :

— Bah ! J’en entends bien d’autres !

Aubert était reconnaissant à M. Watelet et à l’abbé Corneille ; et tous trois, sans beaucoup s’inquiéter de comprendre mutuellement leurs idées, ni peut-être même de les connaître, arrivaient à s’aimer, sans trop savoir pourquoi. Ils étaient tout surpris de se trouver si près l’un de