Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/265

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La houle s’effaçait. Tous se hâtaient d’oublier, avec une peur secrète. Aucun ne semblait plus se souvenir de ce qui s’était passé. On s’apercevait pourtant qu’ils y pensaient encore, à la joie avec laquelle ils s’étaient repris à la vie, à la bonne vie quotidienne, dont on ne sent tout le prix que lorsqu’elle est menacée. Comme après chaque danger, on faisait les bouchées doubles.

Christophe s’était rejeté dans la création, avec un entrain décuplé. Il y entraînait avec lui Olivier. Ils s’étaient mis à composer ensemble, par réaction contre les pensées sombres, une épopée Rabelaisienne. Elle était teinte de ce large matérialisme, qui suit les périodes de compression morale. Aux héros légendaires, — Gargantua, frère Jean, Panurge, — Olivier avait ajouté, sous l’inspiration de Christophe, un personnage nouveau, un paysan, Jacques Patience, naïf, rusé, madré, résigné, qui était le jouet des autres, battu, pillé, se laissant faire, — sa femme caressée, ses champs saccagés, se laissant faire, — ne se lassant pas de remettre en ordre sa maison et de cultiver sa terre, — forcé de suivre les autres à la guerre,

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