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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

demanda à Christophe son épopée Rabelaisienne, avant qu’elle fût finie ; et Goujart, pressentant la célébrité prochaine, commença à parler, en termes mystérieux, d’un génie de ses amis, qu’il avait découvert. Il célébra dans un article l’admirable David, — ne se souvenant même plus qu’il lui avait consacré, dans un article de l’an passé, deux lignes injurieuses. Et personne autour de lui ne s’en souvenait davantage, ou ne songeait à s’étonner du revirement. Combien à Paris ont bafoué Wagner et Franck, qui les célèbrent aujourd’hui, et s’en servent pour écraser des artistes nouveaux, qu’ils célébreront demain !

Christophe ne s’attendait guère à ce succès. Il savait qu’il vaincrait, un jour ; mais il ne pensait pas que ce jour dût être si prochain ; et il se défiait d’une réussite trop rapide. Il haussait les épaules, et disait qu’on le laissât tranquille. Il eût compris qu’on applaudît le David, l’année précédente, quand il l’avait écrit ; mais maintenant, il en était loin déjà, il avait gravi quelques échelons de plus. Volontiers, il eût dit aux gens qui lui parlaient de son ancienne œuvre :

— Laissez-moi tranquille avec cette ordure ! Elle me dégoûte. Et vous aussi.

Et il se renfonçait dans son travail nouveau, avec un peu d’humeur d’en avoir été dérangé. Toutefois, il éprouvait une satisfaction secrète. Les premiers rayons de la gloire sont bien doux. Il est bon, il est sain de vaincre. C’est la fenêtre