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DANS LA MAISON

sur le cri d’un marchand. Même les mélodies tristes prenaient en lui une allure réjouie. En passant devant la blanchisserie de sa rue, il jeta, comme d’habitude, un coup d’œil dans la boutique, et vit la petite roussotte, au teint mat, rosé par la chaleur, qui repassait, ses bras grêles nus presque jusqu’à l’épaule, son corsage ouvert ; elle lui lança, comme d’habitude, une œillade effrontée ; pour la première fois, ce regard glissa sur le sien, sans l’irriter. Il rit encore. Dans sa chambre, il ne retrouva aucune des préoccupations qu’il y avait laissées. Il jeta à droite et à gauche chapeau, veste et gilet ; et il se mit au travail, avec un entrain à conquérir le monde. Il reprit les brouillons musicaux, éparpillés de tous côtés. Sa pensée n’y était pas ; il les lisait des yeux seulement ; au bout de quelques minutes, il retombait dans la somnolence heureuse du Luxembourg, la tête ivre, étourdie. Il s’en aperçut deux ou trois fois, essaya de se secouer ; mais en vain. Il jura gaiement, et, se levant, il se plongea la tête dans sa cuvette d’eau froide. Cela le dégrisa un peu. Il revint s’asseoir à sa table, silencieux, avec un vague sourire. Il songeait :

— Quelle différence y a-t-il entre cela et l’amour ?

Instinctivement, il s’était mis à penser bas, comme s’il avait eu honte. Il haussa les épaules :

— Il n’y a pas deux façons d’aimer… Ou plutôt, si, il y en a deux : il y a la façon de ceux qui