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DANS LA MAISON

des malades, Olivier était parvenu, sinon à se dégager de ces troubles, du moins à s’y résigner et à les dominer. Peu de gens se doutaient de ces combats intérieurs. Il en renfermait en lui le secret humiliant, cette agitation déréglée d’un corps débile et tourmenté, que considérait, sans pouvoir s’en rendre maîtresse, mais sans en être atteinte, une intelligence libre et sereine, — « la paix centrale qui persiste au cœur d’une agitation sans fin ».

Elle frappait Christophe. C’était elle qu’il voyait dans les yeux d’Olivier. Olivier avait l’intuition des âmes, et une curiosité d’esprit large, subtile, ouverte à tout, qui ne niait rien, qui ne haïssait rien, qui contemplait les choses avec une généreuse sympathie : cette fraîcheur de regard, qui est un don sans prix et permet de savourer, d’un cœur toujours neuf, l’éternel renouveau. Dans cet univers intérieur, où il se sentait libre, vaste, souverain, il oubliait sa faiblesse et ses angoisses physiques. Il y avait même quelque douceur à contempler de loin, avec une ironique pitié, ce corps souffreteux, toujours prêt à disparaître. Ainsi, l’on ne risquait pas de s’attacher à sa vie. Et l’on ne s’en attachait que plus passionnément à la vie. Olivier reportait dans l’amour et dans l’intelligence toutes les forces qu’il avait abdiquées dans l’action. Il n’avait pas assez de sève pour vivre de sa propre substance. Il était lierre : il lui fallait s’attacher. Il n’était jamais si riche