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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/65

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DANS LA MAISON

Pour la première fois, il entrevoyait le sens de la Liberté belliqueuse qu’ils adoraient, et qui était l’épée formidable de la Raison. Non, ce n’était pas pour eux une rhétorique sonore, une idéologie vague, comme il l’avait cru. Chez un peuple où les besoins de la raison étaient les premiers de tous, la lutte pour la raison dominait toutes les autres. Qu’importait que cette lutte parût absurde aux peuples qui se disaient pratiques ? À un regard profond, les luttes pour la conquête du monde, pour l’empire, ou pour l’argent, ne se montrent pas moins vaines ; et des unes et des autres, dans un million d’années, il ne restera rien. Mais si ce qui donne son prix à la vie, c’est l’intensité de la lutte, où s’exaltent toutes les forces de l’être jusqu’à son sacrifice à un Être supérieur, il y a peu de combats qui honorent plus la vie que l’éternelle bataille livrée en France pour ou contre la raison. Et à ceux qui en avaient goûté l’âpre saveur, la tolérance apathique, tant vantée, des Anglo-Saxons, paraissait fade et peu virile. Les Anglo-Saxons la rachetaient, en trouvant ailleurs l’emploi de leur énergie. Mais leur énergie n’était pas là. La tolérance n’est grande que quand, au milieu des partis, elle est un héroïsme. Dans l’Europe d’aujourd’hui, elle n’est le plus souvent qu’indifférence, manque de foi, manque de vie. Les Anglais, arrangeant à leur usage une parole de Voltaire, se vantent volontiers que « la diversité des croyances a produit plus de