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LA FIN DU VOYAGE

avait d’autres tourments plus positifs ; et elle pensait avec une pitié ironique à ses révoltes mystiques d’enfant. — Cependant, son esprit positif d’aujourd’hui n’était pas plus réel que son ancien idéalisme. Elle se forçait. Elle n’était ni ange, ni bête. Elle était une pauvre femme qui s’ennuie.

Elle s’ennuyait, s’ennuyait ; elle s’ennuyait d’autant plus qu’elle ne pouvait se donner comme excuse qu’elle n’était pas aimée, ou qu’elle ne pouvait souffrir Olivier. Sa vie lui paraissait bloquée, murée, sans avenir ; elle aspirait à un bonheur nouveau, perpétuellement renouvelé, qui était une chose enfantine, et que ne légitimait point la médiocrité de son aptitude au bonheur. Elle était comme tant d’autres femmes, tant de ménages désœuvrés, qui ont toutes les raisons d’être heureux, et qui ne cessent de se torturer. On en voit, autour de soi, qui sont riches, qui ont de beaux enfants, une bonne santé, qui sont intelligents et capables de sentir les belles choses, qui possèdent tous les moyens d’agir, de faire du bien, d’enrichir leur vie et celle des autres. Et ils passent leur temps à gémir qu’ils ne s’aiment pas, qu’ils en aiment d’autres, ou qu’ils n’en aiment pas d’autres, — perpétuellement préoccupés d’eux-mêmes, de leurs rapports