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LA FIN DU VOYAGE

laissa sortir son camarade, elle feignit de le suivre ; et puis, elle retourna se cacher dans le théâtre ; elle se tapit sous une banquette ; elle y resta trois heures, sans bouger, étouffant, dans la poussière ; et quand la représentation allait commencer et que le public arrivait, quand elle allait sortir de sa cachette, elle avait eu la mortification d’être saisie, expulsée ignominieusement, au milieu des risées, et reconduite chez elle, où elle avait été fessée. Cette nuit-là, elle serait morte, si elle n’avait su maintenant ce qu’elle ferait plus tard, pour dominer ces gens et pour se venger d’eux.

Son plan fut fait. Elle se plaça comme servante dans l’Hôtel et Café du Théâtre, où descendaient des acteurs. Elle savait à peine lire et écrire ; et elle n’avait rien lu, elle n’avait rien à lire. Elle voulut apprendre, elle y mit une énergie endiablée. Elle chipait des livres dans la chambre des clients ; elle les lisait, la nuit, au clair de lune, ou à l’aube, pour ne pas dépenser de chandelle. Grâce au désordre des acteurs, ses larcins passaient inaperçus ; ou bien les possesseurs se contentaient de maugréer. D’ailleurs, elle leur rendait leurs livres, après les avoir lus, — sauf un ou deux qui l’émurent trop pour qu’elle pût s’en séparer ;