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LA FIN DU VOYAGE

— Oui, disait-elle ; si j’étais une de ces fameuses comédiennes, qui ont des âmes de boutiquières, et qui font du théâtre, comme elles feraient des affaires. Celles-là sont contentes, quand elles ont « réalisé » une belle situation, un riche mariage bourgeois, et — le nec plus ultra — décroché la croix des braves. Moi, je voulais plus. Quand on n’est pas un sot, est-ce que le succès ne paraît pas encore plus vide que l’insuccès ? Tu dois bien le savoir !

— Je le sais, dit Christophe. Ah ! mon Dieu ! ce n’était pas ainsi que je me figurais la gloire, lorsque j’étais enfant. De quelle ardeur je la désirais, et comme elle me semblait lumineuse ! Elle était pour moi quelque chose de religieux… N’importe ! Il y a dans le succès une vertu divine : c’est le bien qu’il permet de faire.

— Quel bien ? On est vainqueur. Mais à quoi bon ? Rien n’est changé. Théâtres, concerts, tout est toujours le même. Ce n’est qu’une mode nouvelle qui succède à une autre mode. Ils ne vous comprennent pas, ou seulement en courant ; et déjà, ils pensent à autre chose… Toi-même, comprends-tu les autres artistes ? En tout cas, tu n’en es pas compris. Comme ils sont loin