Quel gâchage de forces ! Vois ce qu’ils ont fait d’un Mounet. Qu’a-t-il eu à jouer, dans sa vie ? Deux ou trois rôles qui valent la peine de vivre : un Œdipe, un Polyeucte. Le reste, quelle niaiserie ! N’est-ce pas à dégoûter ? Et penser à tout ce qu’il y aurait eu de grand et de glorieux à faire, pour lui ?… Ce n’est pas mieux, hors de France. Qu’ont-ils fait d’une Duse ? À quoi s’est consumée sa vie ? À quels rôles inutiles ?
— Votre vrai rôle, dit Christophe, est d’imposer au monde les fortes œuvres d’art.
— On s’épuise en vain. Et cela n’en vaut pas la peine. Dès qu’une de ces fortes œuvres touche la scène, elle perd sa grande poésie, elle devient mensongère. Le souffle du public la flétrit. Public de villes étouffées, il ne sait plus ce que c’est que le plein-air, que la nature, que la saine poésie : il lui faut une poésie de théâtre, clinquante, fardée, et qui pue. — Ah ! et puis… et puis, d’ailleurs, quand même on y réussirait… Non, cela ne remplit pas encore la vie, cela ne remplit pas ma vie…
— Tu penses toujours à lui.
— À qui ?
— Tu le sais bien. À cet homme.
— Oui.