Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 8.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

214
LA FIN DU VOYAGE

Christophe avait eu le plaisir de revoir à la maison la mère de Minna, Mme de Kerich. Il avait conservé pour elle une secrète tendresse, parce qu’elle avait été bonne pour lui. Elle n’avait rien perdu de sa bonté, et elle était plus naturelle que Minna ; mais elle témoignait toujours à Christophe cette petite ironie affectueuse qui l’irritait autrefois. Elle en était restée au même point où il l’avait laissée ; elle aimait les mêmes choses ; et il ne lui semblait pas admissible qu’on put faire mieux, ni autrement ; elle opposait le Jean-Christophe d’autrefois au Jean-Christophe d’aujourd’hui ; et elle préférait le premier.

Autour d’elle, personne n’avait changé d’esprit, que Christophe. L’immobilité de la petite ville, son étroitesse d’horizon, lui étaient pénibles. Ses hôtes passèrent une partie de la soirée à l’entretenir de commérages sur le compte de gens qu’il ne connaissait pas. Ils étaient à l’affût des ridicules de leurs voisins, et ils décrétaient ridicule tout ce qui différait d’eux et de leurs façons. Cette curiosité malveillante, perpétuellement occupée de riens, finissait par causer à Christophe un malaise insupportable. Il essaya de parler de sa vie à l’étranger. Mais tout de suite, il sentit son impossibilité à leur faire sentir cette civilisa-