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LA FIN DU VOYAGE

délités involontaires de pensée qui la troublaient et dont elle rougissait, qu’elle écartait faiblement, et qui lui faisaient tout de même, — étant si innocentes, — un peu de soleil au cœur… Elle aimait bien son mari, quoiqu’il ne fût pas tout à fait celui qu’elle rêvait. Mais il était bon ; et un jour qu’il lui avait dit :

— Ma chère femme, tu ne sais pas tout ce que tu es pour moi. Tu es toute ma vie.

Son cœur s’était fondu ; et ce jour-là, elle s’était sentie unie à lui, tout entière, pour toujours, sans idée de retour. Chaque année les avait attachés plus étroitement l’un à l’autre. Ils avaient fait de beaux rêves ensemble. Rêves de travaux, de voyages, d’enfants. Qu’en était-il advenu ?… Hélas !… Mme Arnaud les rêvait toujours. Il y avait un petit enfant, auquel elle avait si souvent, si profondément songé, qu’elle le connaissait presque comme s’il était là. Elle y avait travaillé, des années, l’embellissant sans cesse de ce qu’elle voyait de plus beau, de ce qu’elle aimait de plus cher… Silence !…

C’était tout. C’étaient des mondes. Combien de tragédies ignorées, même des plus intimes, au fond des vies les plus calmes, les plus médiocres en apparence ! Et la plus tragique peut-être : — qu’il ne se passe rien dans ces