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LES AMIES

tant, je la connais mieux que vous. Je suis sûre qu’elle n’est pas mauvaise. Pauvre petite ! Je devine ce qui a pu se passer en elle…

— Vous, mon amie, dont la vie est si digne, si raisonnable !…

— Moi, Christophe. Oui, vous ne savez pas, vous êtes bon, mais vous êtes un homme, un homme dur, comme tous les hommes, malgré votre bonté, — un homme durement fermé à tout ce qui n’est pas vous. Vous ne vous doutez pas de celles qui vivent auprès de vous. Vous les aimez, à votre façon ; mais vous ne vous inquiétez pas de les comprendre. Vous êtes si facilement satisfaits de vous-mêmes ! Vous êtes persuadés que vous nous connaissez… Hélas ! Si vous saviez quelle souffrance c’est parfois pour nous de voir, non que vous ne nous aimez point, mais comment vous nous aimez, et que voilà ce que nous sommes pour ceux qui nous aiment le mieux ! Il y a des moments, Christophe, où nous nous enfonçons les ongles dans la paume pour ne pas vous crier : « Oh ! ne nous aimez pas, ne nous aimez pas ! Tout plutôt que de nous aimer ainsi ! »… Connaissez-vous cette parole d’un poète : « Même dans sa maison, au milieu de ses enfants, la femme entourée d’honneurs simulés, endure un mépris mille