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LES AMIES

la forme de ce vieux maître pommadé, riche, célèbre, membre de toutes les Académies, arrivé au faîte de sa carrière, et n’ayant plus, semblait-il, rien à craindre et rien à ménager, qui s’aplatissait devant tout et devant tous, peureux devant l’opinion, le pouvoir, la presse, n’osant plus dire ce qu’il pensait, et d’ailleurs ne pensant plus, n’existant plus, s’exhibant, âne chargé de ses propres reliques.

Derrière chacun de ces artistes et de ces gens d’esprit, qui avaient été grands ou qui auraient pu l’être, on pouvait être sûr qu’il y avait une femme qui les rongeait. Elles étaient toutes dangereuses, celles qui étaient sottes, et celles qui ne l’étaient point ; celles qui aimaient, et celles qui s’aimaient ; les meilleures étaient les pires : car elles étouffaient d’autant plus sûrement l’artiste sous l’éteignoir de leur affection malavisée, qui de bonne foi s’appliquait à domestiquer le génie, à l’accommoder à leur usage, à le niveler, élaguer, râtisser, parfumer, jusqu’à ce qu’il fût à la mesure de leur sensibilité, de leur petite vanité, de leur médiocrité, et de celle de leur monde.

Bien que Christophe ne fît que passer dans ce monde, il en vit assez pour sentir le dan-