Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 8.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

49
LES AMIES

les pratiquait ; mais la tante Marthe ne les pratiquait pas. Et le moyen de ne pas faire la comparaison ! Les yeux d’enfant saisissent bien des mensonges, que les plus âgés ne pensent plus à remarquer ; ils notent aussi bien des faiblesses et des contradictions. Jacqueline observait que sa mère et ceux qui disaient croire avaient aussi peur de la mort que s’ils n’avaient pas cru. Non, ce n’était pas là un soutien suffisant… Puis, par là-dessus, des expériences personnelles, des révoltes, des répugnances, un confesseur maladroit qui l’avait blessée… Elle continuait de pratiquer, mais sans foi, comme on fait des visites, parce qu’on est bien élevée. La religion, comme le monde, lui paraissait néant. Son seul recours était le souvenir de la morte, dont elle s’enveloppait. Elle avait beaucoup à se reprocher vis-à-vis de celle que, naguère, son égoïsme juvénile avait souvent négligée, et qu’aujourd’hui il appelait en vain. Elle idéalisait sa figure ; et le grand exemple que Marthe lui avait laissé d’une vie profonde et recueillie contribuait à lui faire prendre en dégoût la vie du monde, sans sérieux et sans vérité. Elle n’en voyait plus que les hypocrisies ; et ces aimables compromissions, qui, en d’autres temps, l’eussent amusée, la révol-