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LES AMIES

petits pas, au milieu des allées, que bordaient des buissons de groseillers aux grappes rouges et blondes, et des plates-bandes de fraises, dont l’haleine emplissait l’air. On était au mois de juin ; mais des orages avaient refroidi le temps. Le ciel était gris, la lumière à demi éteinte ; les nuages bas se mouvaient pesamment, tout d’une masse, charriés par le vent. De ce grand vent lointain, rien n’arrivait sur la terre : pas une feuille ne remuait ; mais l’air était très frais. Une grande mélancolie enveloppait les choses, et leur cœur, qu’un grave bonheur inondait. Et du fond du jardin, de la villa invisible, aux fenêtres entr’ouvertes, arrivèrent à eux les sons de l’harmonium, qui disait la fugue en mi bémol mineur de Jean-Sébastien Bach. Ils s’assirent côte à côte sur la margelle d’un puits, tout pâles, sans parler. Et Olivier vit des larmes couler sur les joues de Jacqueline.

— Vous pleurez ? murmura-t-il, les lèvres tremblantes.

Et ses larmes aussi coulèrent.

Il lui prit la main. Elle pencha sa tête blonde sur l’épaule d’Olivier. Elle n’essayait plus de lutter : elle était vaincue ; et c’était pour elle un tel soulagement !… Ils pleurèrent tout bas, écoutant la musique, sous le