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LA FIN DU VOYAGE

cupaient de lui. Il méditait ces paroles de Goethe :


« Lorsqu’un écrivain s’est fait remarquer par un ouvrage de mérite, le public cherche à l’empêcher d’en produire un second… Le talent qui se recueille est malgré lui traîné dans le tumulte du monde, parce que chacun croit qu’il pourra s’en approprier une parcelle. »


Il ferma sa porte au monde du dehors, et, dans sa propre maison, se rapprocha de quelques vieux amis. Il revit le ménage des Arnaud, qu’il avait un peu négligés. Mme Arnaud, qui vivait seule une partie de la journée, avait du temps pour songer aux chagrins des autres. Elle pensait au vide qu’avait dû faire chez Christophe le départ d’Olivier ; et elle surmonta sa timidité pour l’inviter à dîner. Si elle eût osé, elle lui eût même offert de venir de temps en temps faire la revue de son ménage ; mais la hardiesse lui manqua ; et ce fut mieux sans doute : car Christophe n’aimait point qu’on s’occupât de lui. Mais il accepta l’invitation à dîner, et il prit l’habitude de venir régulièrement le soir, chez les Arnaud.

Il trouva le petit ménage toujours aussi uni, dans la même atmosphère de tendresse un peu triste, endolorie, plus grise encore qu’au-