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LES AMIES

Cécile avait des raisons pour se défier des hommes. Son père, qui était mort depuis quelques années, était un être faible et paresseux ; il avait fait beaucoup de tort à sa femme et aux siens. Elle avait aussi un frère qui avait mal tourné ; on ne savait pas trop ce qu’il était devenu ; de loin en loin il reparaissait, pour demander de l’argent ; on le craignait, on avait honte, on avait peur de ce qu’on pouvait apprendre sur lui, d’un jour à l’autre ; et pourtant, on l’aimait. Christophe le rencontra, une fois. Il était chez Cécile : on sonna à la porte ; la mère alla ouvrir. Une conversation s’éleva dans la pièce à côté, avec des éclats de voix. Cécile, qui semblait troublée, sortit à son tour, et laissa Christophe seul. La discussion continuait, et la voix étrangère se faisait menaçante ; Christophe crut de son devoir d’intervenir : il ouvrit la porte. Il eut à peine le temps d’entrevoir un homme jeune et un peu contrefait, qui lui tournait le dos : Cécile se jeta vers Christophe, et le supplia de rentrer. Elle rentra avec lui ; ils s’assirent en silence. Dans la chambre voisine, le visiteur cria encore, pendant quelques minutes, puis partit, en faisant claquer la porte. Alors, Cécile eut un soupir, et elle dit à Christophe :