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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/212

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LA FIN DU VOYAGE

dualisme ; romantisme, classicisme ; progrès, tradition ; — et ainsi, pour l’éternité. Chaque génération nouvelle, brûlée en moins de dix ans, croyait avec le même entrain être seule arrivée au faîte, et faisait dégringoler ses prédécesseurs, à coups de pierres ; elle s’agitait, criait, se décernait le pouvoir et la gloire, dégringolait à son tour sous les pierres des nouveaux arrivants, disparaissait. À qui le tour ?…

La création musicale n’était plus un refuge pour Christophe ; elle était intermittente, désordonnée, sans but. Écrire ? Pour qui écrire ? Pour les hommes ? Il passait par une crise de misanthropie aiguë. Pour lui ? Il sentait trop la vanité de l’art, incapable de combler le vide de la mort. Seule, sa force aveugle le soulevait, par instants, d’une aile violente, et retombait, brisée. Il était comme une nuée d’orage qui gronde dans les ténèbres. Olivier disparu, il ne restait plus rien. Il s’acharnait contre tout ce qui avait rempli sa vie, contre les sentiments qu’il avait cru partager avec d’autres, contre les pensées qu’il s’imaginait avoir eues en commun avec le reste de l’humanité. Il lui semblait aujourd’hui qu’il avait été le jouet d’une illusion : toute la vie sociale reposait sur un immense malentendu, dont le langage était la source.