Aller au contenu

Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

237
LE BUISSON ARDENT

rieuse de la nuit. Elle s’appuyait affectueusement sur Christophe. En redescendant la pente qu’elle avait grimpée allègrement, quelques heures avant, elle soupira. Ils arrivaient à la station. Près de la première maison, il s’arrêta pour la regarder. Elle le regarda aussi, et lui sourit avec mélancolie. Dans le train, même foule qu’en venant. Ils ne purent causer. Assis en face d’elle, il la couvait des yeux. Elle avait les yeux baissés ; elle les leva vers lui, sentant son regard ; puis elle les détourna, et il ne parvint plus à les attirer de son côté. Elle regardait dehors, dans la nuit. Un vague sourire flottait sur ses lèvres, avec un peu de fatigue aux coins. Puis le sourire disparut. L’expression devint morne. Il crut qu’elle s’absorbait dans le rythme du train, et il essaya de lui parler. Elle répondit froidement, d’un mot, sans tourner la tête. Il tâcha de se persuader que la fatigue était cause de ce changement ; mais il savait bien que la raison était autre. À mesure qu’on se rapprochait de la ville, il voyait le visage d’Anna se figer, la vie s’éteindre, tout ce beau corps à la grâce sauvage rentrer dans sa gaine de pierre. Elle ne s’appuya pas sur la main qu’il lui tendait, en descendant de wagon. Ils revinrent, en silence.